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Après la scène que Christophe avait faite aux Vogel, il était devenu impossible de rester dans la maison, et Louisa avait dû chercher un autre logement pour son fils et pour elle.

Un jour, le plus jeune frère de Christophe, Ernst, dont on n’avait plus de nouvelles depuis longtemps, tomba brusquement chez eux. Il était sans place, s’étant fait chasser successivement de toutes celles qu’il avait essayées ; sa bourse était vide, et sa santé délabrée : aussi avait-il jugé bon de venir se refaire dans la maison maternelle.

Ernst n’était en mauvais termes avec aucun de ses deux frères ; il était peu estimé des deux, et il le savait ; mais il ne leur en voulait pas, car cela lui était indifférent. Ils ne lui en voulaient pas non plus. C’eût été peine perdue. Tout ce qu’on lui disait glissait sur lui, sans laisser aucune trace. Il souriait de ses jolis yeux câlins, tâchait de prendre un air contrit, pensait à autre chose, approuvait, remerciait, et finissait toujours par extorquer de l’argent à l’un ou à l’autre de ses frères. En dépit de lui-même, Christophe avait de l’affection pour cet aimable drôle, qui, de traits, ressemblait, comme lui, plus que lui, à leur père Melchior. Grand et fort comme Christophe, il avait une figure régulière, l’air franc, les yeux clairs, un nez droit, une bouche riante, de belles dents, et des

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