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l’adolescent

Il fit un geste de lassitude.

— Oui, dit-elle, je finis. Plus qu’un mot !

Et elle repartit de plus belle.

Christophe se secoua avec colère.

— Veux-tu me laisser tranquille avec tes saletés !

— Je plaisante.

— Trouve des sujets plus propres !

— Discute au moins. Dis pourquoi cela te déplaît.

— Point du tout ! Il n’y a pas à discuter pourquoi le fumier pue. Il pue, et voilà tout ! Je me bouche le nez, et je m’en vais.

Il s’en allait, furieux ; il se promenait à grands pas, respirant l’air glacé.

Mais elle recommençait, une fois, deux fois, dix fois. Elle mettait sur le tapis tous les sujets qui pouvaient choquer et blesser sa conscience.

Il pensait que ce n’était là qu’un jeu malsain de fille neurasthénique, qui s’amusait à l’agacer. Il haussait les épaules ou feignait de ne pas l’écouter : il ne la prenait pas au sérieux. Il n’en avait pas moins envie parfois de la jeter par la fenêtre ; car la neurasthénie et les neurasthéniques étaient fort peu de son goût…

Mais il lui suffisait de dix minutes loin d’elle, pour avoir oublié tout ce qui lui déplaisait. Il revenait à Ada avec une provision d’espoirs et d’illusions nouvelles. Il l’aimait. L’amour est un acte de foi perpétuel. Que Dieu existe ou non, cela n’importe guère : on croit parce qu’on croit. On aime parce qu’on aime : il n’y faut pas tant de raisons !…