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Jean-Christophe

du cou, pourquoi m’en voudrais-tu si j’aimais un autre, et si je te le disais ?

— Ne me tourmente pas toujours !

— Je ne te tourmente pas : je ne dis pas que j’aime un autre ; je dis même que non… Mais plus tard, si j’aimais… ?

— Eh bien, n’y pensons pas.

— Moi, je veux y penser… Tu ne m’en voudrais pas ? Tu ne peux pas m’en vouloir ?

— Je ne t’en voudrais pas, je te quitterais, voilà tout.

— Me quitter ? Pourquoi donc ? Si je t’aimais encore ?…

— Tout en aimant un autre ?

— Sans doute. Cela arrive.

— Eh bien, cela n’arrivera pas pour nous.

— Pourquoi ?

— Parce que, le jour où tu aimeras un autre, je ne t’aimerai plus, mon petit, plus du tout, plus du tout.

— Tout à l’heure, tu disais peut-être… Ah ! tu vois, tu n’aimes pas !

— Soit. Cela vaut mieux pour toi.

— Parce que ?…

— Parce que si je t’aimais, quand tu aimerais un autre, cela pourrait mal tourner pour toi, moi, et l’autre.

— Voilà !… Tu es fou maintenant. Alors je suis condamnée à rester avec toi, toute ma vie ?

— Tranquillise-toi. Tu es libre. Tu me quitteras, quand tu voudras. Seulement, ce ne sera pas au revoir, ce sera adieu.

— Mais si je continue de t’aimer, moi ?

— Quand on s’aime, on se sacrifie l’un à l’autre.

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