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Jean-Christophe

Il savait bien qu’il était capable, tout comme un autre, de commettre, dans un instant de passion, une sottise, une malhonnêteté peut-être, et, — qui sait ? — davantage ; mais il eût trouvé honteux de s’en vanter froidement, et dangereux de l’avouer à Ada. Un instinct l’avertissait que la chère ennemie se tenait à l’affût, et prenait acte de ses moindres propos : il ne voulait pas lui donner prise contre lui.

D’autres fois, elle revenait à la charge ; elle lui demandait :

— M’aimes-tu parce que tu m’aimes, ou parce que je t’aime ?

— Parce que je t’aime.

— Alors, si je ne t’aimais pas, tu m’aimerais encore ?

— Oui.

— Et si j’aimais un autre, tu m’aimerais toujours ?

— Ah ! cela, je ne sais pas… Je ne crois pas… En tout cas, tu serais la dernière personne à qui j’irais le dire.

— Qu’est-ce qu’il y aurait de changé ?

— Beaucoup de choses. Moi, peut-être. Sûrement, toi.

— Qu’est-ce que cela fait, que moi, je change ?

— Cela fait tout. Je t’aime comme tu es. Si tu deviens une autre, je ne réponds plus de t’aimer.

— Tu n’aimes pas, tu n’aimes pas ! Qu’est-ce que ces ergotages ? On aime, ou on n’aime pas. Si tu m’aimes, tu dois m’aimer, telle que je suis, quoi que je fasse, toujours.

— Ce serait t’aimer comme une bête.

— C’est comme cela que je veux être aimée.

— Alors, tu t’es trompée, dit-il en plaisantant, je ne

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