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l’adolescent

Madame Vogel poussa les hauts cris. Jamais personne n’avait osé lui parler sur ce ton. Elle dit qu’elle ne se laisserait pas faire la leçon par un polisson, — et dans sa propre maison ! — Et elle le traita d’une façon outrageante.

Au bruit de la scène, les autres arrivèrent, — sauf Vogel, qui fuyait tout ce qui pouvait être une cause de trouble pour sa santé. Le vieux Euler, pris à témoin par Amalia indignée, pria sévèrement Christophe de se dispenser à l’avenir de ses observations et de ses visites. Il dit qu’ils n’avaient pas besoin de lui, pour savoir ce qu’ils devaient faire, qu’ils faisaient leur devoir, qu’ils le feraient toujours.

Christophe déclara qu’il partait, et qu’il ne remettrait plus les pieds chez eux. Il ne partit point pourtant, avant de s’être soulagé de ce qu’il avait encore à leur dire sur le compte de ce fameux Devoir, qui était devenu pour lui un ennemi personnel. Il dit que ce Devoir serait capable de lui faire aimer le vice. C’étaient des gens comme eux qui décourageaient du bien, par leur application à le rendre maussade. Ils étaient cause de la séduction qu’on trouve, par contraste, chez ceux qui sont malhonnêtes, mais aimables et riants. C’est profaner le nom de devoir, que l’appliquer à tout, aux plus niaises corvées, aux actes indifférents, avec une rigueur raide et rogue, qui finit par assombrir et empoisonner la vie. Le devoir est exceptionnel : il faut le réserver pour les moments de réel sacrifice, et ne pas couvrir de ce nom sa propre mauvaise humeur et le désir qu’on a d’être désagréable aux autres. Il n’y a pas de raison, parce qu’on a la sottise ou la disgrâce d’être triste, pour vouloir que tous le soient, et pour imposer à tous son

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