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Jean-Christophe

est pur chez les purs. Tout est pur chez les forts et chez ceux qui sont sains. L’amour, qui pare certains oiseaux de leurs plus belles couleurs, fait sortir des âmes honnêtes ce qu’elles ont de plus noble. Le désir de ne montrer à l’autre rien qui ne soit digne de lui, fait qu’on ne prend plus plaisir qu’aux pensées et aux actes qui sont en harmonie avec la belle image que l’amour a sculptée. Et le bain de jeunesse où l’âme se retrempe, le rayonnement sacré de la force et de la joie, sont beaux et bienfaisants, et rendent plus grand le cœur.

Que ses amis le méconnussent, le remplissait d’amertume. Mais le plus grave, c’était que sa mère elle-même commençait à se tourmenter.

La bonne femme était loin de partager l’étroitesse de principes des Vogel. Elle avait vu de trop près les vraies tristesses, pour chercher à en inventer d’autres. Humble, brisée par la vie, en ayant reçu peu de joies, et lui en ayant encore moins demandé, résignée à ce qui venait, et n’essayant pas de le comprendre, elle se fût bien gardée de juger et de censurer les autres : elle ne s’en croyait pas le droit. Elle se trouvait trop bête, pour prétendre qu’ils se trompaient, quand ils ne pensaient pas comme elle ; il lui eût paru ridicule de vouloir imposer aux gens les règles inflexibles de sa morale et de sa foi. Au reste, sa morale et sa foi étaient toutes d’instinct : pieuse et pure pour son compte, elle fermait les yeux sur la conduite des autres, avec l’indulgence du peuple pour certaines fautes ou certaines faiblesses. C’était là un des griefs qu’avait jadis contre elle son beau-père, Jean-Michel : elle ne faisait pas assez de distinction entre les personnes honorables et celles qui ne l’étaient point ; elle ne craignait pas, dans la rue,

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