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l’adolescent

devoir, comme elle. Modeste dans toute son âme et de toute sa personne, elle n’avait qu’un orgueil : celui de la pureté ; elle l’exigeait de soi et des autres. Que Christophe se fût ainsi abaissé, elle ne le lui pardonnait pas, elle ne le lui pardonnerait jamais.

Christophe essaya de lui parler, sinon de s’expliquer avec elle. — (Que lui aurait-il dit ? Qu’aurait-il pu dire à une fillette puritaine et naïve comme elle ?) — Il eût voulu l’assurer qu’il était son ami, qu’il tenait à son estime, et qu’il y avait encore droit. Il voulait empêcher qu’elle s’éloignât absurdement de lui. — Mais Rosa le fuyait, avec un silence sévère ; et il sentait qu’elle le méprisait.

Il en avait chagrin et colère. Il avait conscience qu’il ne méritait pas ce mépris ; et pourtant, il finissait par en être bouleversé : il se jugeait coupable. Les reproches les plus amers, c’était lui qui se les faisait, en pensant à Sabine. Il se torturait :

— Mon Dieu ! comment est-ce possible ? Comment est-ce que je suis ?…

Mais il ne pouvait pas résister au courant qui l’emportait. Il pensait que la vie est criminelle ; et il fermait les yeux pour ne pas la voir, et vivre. Il avait un tel besoin de vivre, d’être heureux, d’aimer, de croire !… Non, il n’y avait rien de méprisable dans son amour ! Il savait qu’il pouvait n’être pas sage, pas intelligent, pas très heureux même, en aimant Ada ; mais qu’y avait-il là de vil ? À supposer — (il s’efforçait d’en douter) — que Ada n’eût pas une très grande valeur morale, en quoi l’amour qu’il avait pour elle en était-il moins pur ? L’amour est dans celui qui aime, non dans celui qu’on aime. Tant vaut celui qui aime, tant vaut l’amour. Tout

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