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l’adolescent

raison, menaçaient d’être sans fin, des courses à travers champs, des folies, des jeux d’enfant, un plaisir de faire des sottises, de tripoter la terre, les choses sales, les bêtes, les araignées, les fourmis, les vers, de les taquiner, de leur faire du mal, de les faire manger l’un par l’autre, les oiseaux par les chats, les vers par les poules, les araignées par les fourmis, sans méchanceté d’ailleurs, ou par un instinct du mal tout à fait inconscient, par curiosité, par désœuvrement. C’était un besoin inlassable de dire des niaiseries, de répéter cinquante fois des mots qui n’avaient aucun sens, d’agacer, d’irriter, de harceler, de mettre hors de soi. Et ses coquetteries, dès que paraissait quelqu’un, — n’importe qui, — sur le chemin !… Aussitôt elle parlait avec animation, riait, faisait du bruit, faisait des grimaces, se faisait remarquer ; elle prenait une démarche factice et saccadée. Christophe pressentait avec terreur qu’elle allait dire des choses sérieuses. — Et en effet : cela ne manquait point. Elle devenait sentimentale. Elle l’était sans modération, comme elle était tout le reste ; elle s’épanchait avec fracas. Christophe souffrait, il avait envie de la battre. Il ne lui pardonnait rien moins que de n’être pas sincère. Il ne savait pas encore que la sincérité est un don aussi rare que l’intelligence et la beauté, et qu’on ne saurait sans injustice l’exiger de tous. Il ne supportait pas le mensonge ; et Ada lui en donnait bonne mesure. Elle mentait constamment, tranquillement, en face de l’évidence. Elle avait cette facilité étonnante d’oublier ce qui leur déplaît, — ou même ce qui leur a plu, — qu’ont les femmes qui vivent au cours des heures.

Et malgré tout, ils s’aimaient, ils s’aimaient de tout leur cœur. Ada était aussi sincère que Christophe dans

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