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Jean-Christophe

Christophe était mal à l’aise dans la société de ces deux femmes. Leur amitié, leurs entretiens baroques, leur liberté d’allures, la façon crue dont Myrrha surtout voyait les choses et en parlait, — (moins en sa présence toutefois, que quand il n’était pas là ; mais Ada le lui répétait), — leur curiosité indiscrète et bavarde, constamment tournée vers des sujets niais ou d’une sensualité assez basse, toute cette atmosphère équivoque et un peu animale le gênait terriblement, l’intéressait pourtant ; car il ne connaissait rien de semblable. Il était perdu dans la conversation de ces deux petites bêtes, qui se parlaient chiffons, se disaient des coq-à-l’âne, riaient d’une façon inepte, et dont les yeux brillaient de plaisir, quand elles étaient sur la piste d’une histoire égrillarde. Il était soulagé par le départ de Myrrha. Ces deux femmes ensemble, c’était comme un pays étranger, dont il ne savait pas la langue. Impossible de se faire entendre : elles ne l’écoutaient même pas, elles se moquaient de l’étranger.

Quand il était seul avec Ada, ils continuaient de parler deux langues différentes ; mais au moins faisaient-ils effort, l’un et l’autre, pour se comprendre. À vrai dire, plus il la comprenait, moins il la comprenait. Elle était la première femme qu’il connût. Car si la pauvre Sabine en était une, il n’en avait rien su : elle était toujours restée pour lui un fantôme de son cœur. Ada se chargeait de lui faire rattraper le temps perdu. Il tâchait à son tour de résoudre l’énigme de la femme : — énigme qui n’en est une peut-être, que pour ceux qui y cherchent un sens.

Ada n’avait nulle intelligence : c’était là son moindre défaut. Christophe en eût pris son parti, si elle l’avait

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