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Jean-Christophe

côte à côte, par le courant vertigineux, — suspendus dans le vide, comme un oiseau qui plane. La nuit devient plus noire, et le vide plus vide. Ils se serrent plus étroitement l’un contre l’autre. Ada pleure, Christophe perd conscience, ils disparaissent tous deux sous les flots de la nuit…

La nuit… La mort… — Pourquoi revivre ?…

La lueur du petit jour frotte les vitres mouillées. La lueur de la vie se rallume dans les corps alanguis. Il s’éveille. Les yeux de Ada le regardent. Leurs têtes sont appuyées sur le même oreiller. Leurs bras sont liés. Leurs lèvres se touchent. Une vie tout entière passe en quelques minutes ; des journées de soleil, de grandeur et de calme…

« Où suis-je ? Et suis-je deux ? Suis-je encore ? Je ne sens plus mon être. L’infini m’entoure : j’ai l’âme d’une statue, aux larges yeux tranquilles, pleins d’une paix olympienne… »

Ils retombent dans les siècles de sommeil. Et les bruits familiers de l’aube, les cloches lointaines, une barque qui passe, deux rames d’où l’eau s’égoutte, les pas sur le chemin, caressent sans le troubler leur bonheur endormi, en leur rappelant qu’ils vivent, et le leur faisant goûter…