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l’adolescent

nuit. Ils se serrèrent plus fort, en silence, étouffant sur leurs lèvres un murmure passionné.

Une horloge de village sonna au loin. Ils s’arrachèrent à leur étreinte. Il leur fallait bien vite courir à la station. Sans un mot, ils se mirent en route, bras et mains enlacés, réglant leur marche sur le pas l’un de l’autre, — un petit pas rapide et décidé, comme elle. La route était déserte, la campagne vide d’êtres, ils ne voyaient pas à dix pas devant eux ; ils allaient, sereins et sûrs, dans la nuit bien-aimée. Jamais ils ne butaient contre les cailloux du chemin. Comme ils étaient en retard, ils prirent un raccourci. Le sentier, après avoir descendu quelque temps au milieu des vignes, se mit à remonter, et serpenta longuement sur le flanc de la colline. Ils entendaient, dans le brouillard, le bruissement du fleuve et les palettes sonores du bateau qui venait. Ils laissèrent le chemin, et coururent à travers champs. Ils se trouvèrent enfin sur la berge du Rhin, mais assez loin encore de la station. Leur sérénité n’en fut pas altérée. Ada avait oublié sa fatigue du soir. Il leur semblait qu’ils auraient pu marcher toute la nuit, ainsi, sur l’herbe silencieuse, dans la brume flottante, plus humide et plus dense le long du fleuve enveloppé d’une blancheur lunaire. La sirène du bateau mugit, le monstre invisible s’éloigna lourdement. Ils dirent en riant :

— Nous prendrons le suivant.

Sur la grève du fleuve, un doux remous de vagues vint se briser à leurs pieds.

À l’embarcadère du bateau, on leur dit :

— Le dernier vient de partir.

Le cœur de Christophe battit. La main de Ada serra plus fort le bras de son compagnon :

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