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Jean-Christophe

regagner ses amis à l’auberge. Elle prit le bras de Christophe, elle s’appuyait dessus de toutes ses forces, elle geignait et se disait harassée. Cela ne l’empêcha point d’entraîner Christophe le long d’une pente, en courant et criant et riant, comme une folle.

Ils causèrent. Elle apprit qui il était ; elle ne connaissait pas son nom, et parut n’attacher qu’une médiocre estime à son titre de musicien. Il sut qu’elle était demoiselle de magasin chez une modiste de la Kaisersstrasse, (la rue la plus élégante de la ville) ; elle se nommait Adelheid. — pour les amis, Ada. Ses compagnons de promenade étaient une de ses amies, qui travaillait dans la même maison qu’elle, et deux jeunes gens très bien, un employé à la banque Weiller, et un commis d’un grand magasin de nouveautés. Ils profitaient de leur dimanche ; ils avaient décidé d’aller dîner à l’auberge du Brochet, d’où l’on a une belle vue sur le Rhin, et de revenir ensuite par le bateau.

La compagnie était déjà installée à l’auberge, quand ils y arrivèrent. Ada ne manqua point de faire une scène à ses amis : elle se plaignit de leur lâche abandon, et présenta Christophe, en disant qu’il l’avait sauvée. Ils ne tinrent aucun compte de ses doléances ; mais ils connaissaient Christophe, l’employé de réputation, le commis pour avoir entendu quelques morceaux de lui, — (il crut bon d’en fredonner un air, tout aussitôt) ; — et le respect qu’ils lui témoignèrent fit impression sur Ada, d’autant plus que Myrrha, l’autre jeune femme, — (elle se nommait en réalité Hansi, ou Johanna), — une brune aux yeux clignotants, au front osseux, aux cheveux tirés, figure de Chinoise, un peu grimaçante, mais spirituelle et non sans charme, avec son museau de chèvre

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