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l’adolescent

gauche. Ils s’époumonaient à l’appeler. Elle les laissait faire, puis elle allait crier dans la direction opposée. À la fin, ils se lassèrent, et, sûrs que le meilleur moyen de la faire venir était de ne point la chercher, ils crièrent :

— Bon voyage !
et partirent en chantant.

Elle fut furieuse qu’ils ne se souciassent pas plus d’elle. Elle avait bien cherché à se débarrasser d’eux ; mais elle n’admettait pas qu’ils en prissent si facilement leur parti. Christophe faisait sotte figure : ce jeu de cache-cache avec une fille qu’il ne connaissait pas, le divertissait médiocrement ; et il ne pensait point à mettre à profit leur solitude. Elle n’y pensait pas davantage : dans son dépit, elle oubliait Christophe.

— Oh ! c’est trop fort, dit-elle, en tapant des mains, voilà qu’ils me laissent ainsi ?

— Mais, dit Christophe, c’est vous qui l’avez voulu.

— Pas du tout !

— Vous les fuyez.

— Si je les fuis, c’est mon affaire, ce n’est pas la leur. Eux, ils doivent me chercher. Et si j’étais perdue ?…

Elle s’apitoyait déjà sur ce qui aurait pu arriver, si… si le contraire de ce qui était, avait été.

— Oh ! je m’en vais les secouer ! dit-elle.

Elle rebroussa chemin, à grandes enjambées.

Sur la route, elle se souvint de Christophe, et le regarda de nouveau. — Mais il était trop tard. Elle se mit à rire. Le petit démon qui était en elle l’instant d’avant, n’y était plus. En attendant qu’il en vînt un autre, elle voyait Christophe avec des yeux indifférents. Et puis, elle avait faim. Son estomac lui rappelait qu’il était l’heure de souper ; elle avait hâte de

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