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Jean-Christophe

Elle sortit des prunes de son corsage entre-bâillé, et se mit à les croquer.

— Vous allez vous faire mal, dit-il.

— Jamais ! Toute la journée j’en mange.

Par la fente du corsage, il voyait la chemisette.

— Elles sont toutes chaudes maintenant, dit-elle.

— Voyons !

Elle lui en tendit une, en riant. Il la mangea. Elle le regardait du coin de l’œil, en suçant ses fruits comme un enfant. Il ne savait trop comment l’aventure finirait. Il est probable qu’elle du moins s’en doutait. Elle attendait.

— Hé ho ! cria-t-on dans le bois.

— Hé ho ! répondit-elle… Ah ! les voici ! dit-elle à Christophe. Ce n’est pas malheureux !

Elle pensait au contraire que c’était plutôt malheureux. Mais la parole n’a pas été donnée à la femme pour dire ce qu’elle pense… Grâce à Dieu ! Il n’y aurait plus de morale possible sur terre…

Les voix se rapprochaient. Ses amis allaient déboucher sur le chemin. Elle sauta d’un bond le fossé de la route, grimpa le talus qui la bordait, et se cacha derrière les arbres. Il la regardait faire, étonné. Elle lui fit signe impérieusement de venir. Il la suivit. Elle s’enfonça dans l’intérieur du bois.

— Hé ho ! fit-elle de nouveau, quand ils furent assez loin… Il faut bien qu’ils me cherchent ! expliqua-t-elle à Christophe.

Les gens s’étaient arrêtés sur la route et écoutaient d’où venait la voix. Ils répondirent et entrèrent à leur tour dans le bois. Mais elle ne les attendit pas. Elle s’amusa à faire de grands crochets à droite et à

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