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Jean-Christophe

joie délirante et absurde de vivre, que la douleur, la pitié, le désespoir, la blessure déchirante d’une perte irréparable, tous les tourments de la mort, ne font qu’aiguillonner et aviver chez les forts, en labourant leurs flancs d’un éperon furieux.


Christophe savait d’ailleurs qu’il gardait en lui, dans les retraites souterraines de l’âme, un asile inaccessible, inviolable, où l’ombre de Sabine était close. Le torrent de la vie ne saurait l’emporter. Chacun porte au fond de lui comme un petit cimetière de ceux qu’il a aimés. Ils y dorment, des années, sans que rien vienne les troubler. Mais un jour vient, — on le sait, — où la fosse se rouvre. Les morts sortent de leur tombe, et sourient de leurs lèvres décolorées — aimantes, toujours — à l’aimé, à l’amant, dans le sein duquel leur souvenir repose, comme l’enfant qui dort dans les entrailles maternelles.