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Jean-Christophe

Rosa, intimidée, dit :

— Pardon… Christophe… je suis entrée… Je t’apportais…

Il vit qu’elle tenait un objet à la main.

— Voilà, dit-elle, en le lui tendant. J’ai demandé à Bertold qu’il me donnât un souvenir d’elle. J’ai pensé que cela te ferait plaisir…

C’était une petite glace d’argent, le miroir de poche, où elle se regardait, des heures, moins par coquetterie que par désœuvrement. Christophe le saisit, saisit la main qui le lui tendait :

— Oh ! Resi !… fit-il.

Il était pénétré par sa bonté, et par le sentiment de sa propre injustice. D’un mouvement passionné, il s’agenouilla devant elle, et lui baisa la main :

— Pardon… pardon… dit-il.

Rosa ne comprit pas d’abord ; puis, elle comprit trop bien ; elle rougit, elle trembla, elle se mit à pleurer. Elle comprit qu’il voulait dire :

« Pardon si je suis injuste… pardon si je ne t’aime pas… pardon si je ne puis pas… si je ne puis pas t’aimer, si je ne t’aimerai jamais !… »

Elle ne lui retirait pas sa main ; elle savait que ce n’était pas elle qu’il embrassait. Et, la joue appuyée sur la main de Rosa, il pleurait à chaudes larmes, sachant qu’elle lisait en lui : il avait une amère tristesse à ne pouvoir l’aimer, à la faire souffrir.

Ils restèrent ainsi, pleurant tous deux, dans le crépuscule de la chambre.

Enfin elle dégagea sa main. Il continuait de murmurer :

— Pardon !…

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