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Jean-Christophe

en écartant le principal obstacle aux projets de ses hôtes, ne leur parût laisser le champ libre à Rosa. Aussi il la détesta. Que l’on eût — (les Vogel, Louisa, Rosa même) — disposé de lui tacitement, sans même le consulter, cela seul eût suffi, dans n’importe quel cas, pour lui enlever toute affection pour celle qu’on voulait qu’il aimât. Il se cabrait, toutes les fois qu’on lui semblait toucher à son ombrageuse liberté. Mais ici, il n’était pas seul en cause. Les droits qu’on s’arrogeait sur lui ne portaient pas seulement atteinte à ses droits, mais à ceux de la morte à qui son cœur s’était donné. Aussi les défendait-il âprement, bien que personne ne les attaquât. Il suspectait la bonté de Rosa, qui souffrait de le voir souffrir, et venait souvent frapper à sa porte, pour le consoler et lui parler de l’autre. Il ne la repoussait pas : il avait besoin de causer de Sabine avec quelqu’un qui l’eût connue ; il voulait savoir les plus petits détails de ce qui s’était passé pendant la maladie. Mais il n’en était pas reconnaissant à Rosa, il prêtait à son cœur des mobiles intéressés. Ne voyait-il pas que la famille, qu’Amalia même permettait ces visites et ces longues causeries, que jamais elle n’eût autorisées, si elle n’y avait trouvé son compte ? Rosa n’était-elle pas d’accord avec les siens ? Il ne pouvait croire que sa compassion fût tout à fait sincère et dénuée de pensées personnelles.

Et sans doute, elle ne l’était pas. Rosa plaignait Christophe de tout son cœur. Elle faisait effort pour voir Sabine avec les yeux de Christophe, pour l’aimer au travers de lui ; elle se reprochait sévèrement les mauvais sentiments qu’elle avait pu avoir contre elle, et lui en demandait pardon, le soir, dans ses prières. Mais

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