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Jean-Christophe

une lettre, pas une relique, — rien. Où la saisir, où la chercher, en lui-même, hors de lui ?… Ô néant ! Il ne lui restait rien d’elle que l’amour qu’il avait pour elle, il ne lui restait que lui… — Et malgré tout, son désir enragé de l’arracher à la destruction, son besoin de nier la mort, faisait qu’il s’attachait à cette dernière épave, dans un acte de foi forcené :


« … Ne son gia morto ; e ben c’albergo cangi,
resto in te vivo, c’or mi vedi e piangi,
se l’un nell’altro amante si trasforma. »


« … Je ne suis pas morte, j’ai changé de demeure, je reste vivante en toi, qui me vois et qui pleures. En l’âme de l’amant se change l’âme aimée. »


Il n’avait jamais lu ces sublimes paroles ; mais elles étaient en lui. Chacun remonte à son tour le calvaire des siècles. Chacun retrouve les peines, chacun retrouve l’espoir désespéré et la folie des siècles. Chacun remet ses pas dans les pas de ceux qui furent, de ceux qui luttèrent avant lui contre la mort, nièrent la mort, — sont morts.