Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 3.djvu/143

Cette page a été validée par deux contributeurs.
l’adolescent

Rosa secoua la tête tristement. Elle eût donné beaucoup pour pouvoir lui faire la réponse qu’il attendait ; elle se reprochait presque de ne pas savoir mentir. Elle tâcha de le consoler :

— Elle n’avait plus conscience.

— Elle parlait ?

— On ne comprenait pas bien. Elle parlait tout bas.

— Où est la petite fille ?

— Le frère l’a emmenée chez lui, dans son pays.

— Et elle ?

— Elle est aussi là-bas. Lundi de la semaine passée, elle est partie d’ici.

Ils se remirent à pleurer.

La voix de madame Vogel rappela encore Rosa. Christophe, de nouveau seul, revivait ces journées de mort. Huit jours, il y avait huit jours déjà… Ô Dieu ! qu’était-elle devenue ? Comme il avait plu, cette semaine, sur la terre !… Et lui, pendant ce temps, il riait, il était heureux !

Il sentit dans sa poche un paquet enveloppé dans du papier de soie : c’étaient des boucles d’argent qu’il lui rapportait pour ses souliers. Il se souvint du soir où sa main s’était posée sur le petit pied déchaussé. Ses petits pieds, où étaient-ils maintenant ? Comme ils devaient avoir froid !… Il pensa que le souvenir de ce tiède contact était le seul qu’il eût de ce corps bien-aimé. Jamais il n’avait osé le toucher, le prendre dans ses bras, l’étreindre contre le sien. Elle s’en était allée, tout entière inconnue, pour jamais. Il ne savait rien d’elle, ni de son âme, ni de sa chair. Il n’avait pas un souvenir de sa forme, de sa vie, de son amour… Son amour ?… quelle preuve en avait-il ?… Il n’avait pas

127