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l’adolescent

courage, que son amour, l’obligeait à en détourner les yeux, se jetait sur cette nouvelle pensée, comme le désespéré qui se noie saisit, malgré lui, le premier objet qui peut l’aider, non à se sauver, mais à se soutenir un moment encore au-dessus de l’eau. D’ailleurs, c’est parce qu’il souffrait, qu’il sentait à présent ce qu’une autre souffrait — souffrait par lui. Il comprenait les larmes qu’il venait de faire répandre. Il avait pitié de Rosa. Il pensait combien il avait été cruel pour elle, — combien il serait cruel encore. Car il ne l’aimait pas. À quoi servait-il qu’elle l’aimât ? Pauvre petite !… Il avait beau se dire qu’elle était bonne (elle venait de le prouver). Que lui faisait sa bonté ? Que lui faisait sa vie ?… Il pensa :

— Pourquoi n’est-ce pas elle qui est morte, et l’autre qui est vivante ?

Il pensa :

— Elle vit, elle m’aime, elle peut me le dire aujourd’hui, demain, toute ma vie ; — et l’autre, la seule que j’aime, elle est morte sans m’avoir dit qu’elle m’aimait, je ne lui ai pas dit que je l’aimais, jamais je ne le lui entendrai dire, jamais elle ne le saura…

Et le souvenir lui revint tout à coup de la dernière soirée : il se rappela qu’ils allaient se parler, quand l’arrivée de Rosa les en avait empêchés. Et il haït Rosa…

La porte du bûcher se rouvrit. Rosa appela Christophe à voix basse, le chercha à tâtons. Elle lui prit la main. Il éprouvait une aversion à la sentir près de lui : il se le reprochait en vain, c’était plus fort que lui.

Rosa se taisait : la profondeur de sa compassion lui avait appris le silence. Christophe lui sut gré de ne

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