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l’adolescent

— Qu’est-ce que cela me fait ? Je n’aime plus rien. Tout le reste peut bien vivre ou mourir. Je n’aime rien, je n’aimais qu’elle, je n’aimais qu’elle !

Il sanglota plus fort, la tête cachée dans ses mains. Rosa ne pouvait plus rien dire. L’égoïsme de la passion de Christophe la poignardait. À l’instant où elle croyait être le plus près de lui, elle se sentait plus isolée et plus misérable que jamais. La douleur, au lieu de les rapprocher, les séparait encore. Elle pleura amèrement.

Après quelque temps, Christophe s’interrompit de pleurer, et demanda :

— Mais comment ? comment ?…

Rosa comprit :

— Elle a pris l’influenza, le soir de ton départ. Tout de suite, elle a été emportée…

Il gémissait :

— Mon Dieu !… Pourquoi ne m’a-t-on pas écrit ?

Elle dit :

— J’ai écrit. Je ne savais pas ton adresse : tu ne nous avais rien dit. J’ai été demander au théâtre. Personne ne la savait.

Il savait combien elle était timide, et combien cette démarche avait dû lui coûter. Il demanda :

— Est-ce qu’elle… est-ce qu’elle t’avait dit de le faire ?

Elle secoua la tête :

— Non. Mais j’ai pensé…

Il la remercia du regard. Le cœur de Rosa se fondit.

— Mon pauvre… pauvre Christophe ! dit-elle.

Elle se jeta à son cou, en pleurant. Christophe sentit le prix de cette pure tendresse. Il avait tant besoin d’être consolé ! Il l’embrassa :

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