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Jean-Christophe

Rosa releva la tête :

— Christophe ! dit-elle.

Étendu sur la table, il se cachait la figure. Elle se pencha vers lui :

— Christophe !… Maman vient !…

Christophe se redressa :

— Non, non, dit-il, je ne veux pas qu’elle me voie.

Elle lui prit la main, elle le guida, chancelant, aveuglé par ses pleurs, jusqu’à un petit bûcher, qui donnait sur la cour. Elle referma la porte. Ils se trouvèrent dans la nuit. Il s’assit au hasard sur un billot qui servait à fendre le bois. Elle, sur des fagots. Les bruits du dehors arrivaient amortis et lointains. Là, il pouvait pleurer, sans crainte d’être entendu. Il s’abandonna à ses sanglots avec fureur. Rosa ne l’avait jamais vu pleurer ; elle ne pensait même pas qu’il pût pleurer ; elle ne connaissait que ses larmes de petite fille, et ce désespoir d’homme la remplissait d’effroi et de pitié. Elle était pénétrée pour Christophe d’un amour passionné. Cet amour n’avait rien d’égoïste : c’était un immense besoin de sacrifice, une abnégation maternelle, une soif de souffrir pour lui, de lui prendre tout son mal. Elle lui passa son bras par dessus l’épaule :

— Cher Christophe, dit-elle, ne pleure pas !

Christophe se détourna :

— Je veux mourir !

Rosa joignit les mains :

— Ne dis pas cela, Christophe !

— Je veux mourir. Je ne peux plus… je ne peux plus vivre… À quoi sert-il de vivre ?

— Christophe, mon petit Christophe ! Tu n’es pas seul. On t’aime…

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