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Il était six heures et demie du matin, quand il rentra dans la maison. Personne n’était encore levé. Les fenêtres de Sabine étaient fermées. Il passa dans la cour, sur la pointe des pieds, pour qu’elle ne l’entendît pas. Il riait de la surprendre. Il monta chez lui. Sa mère dormait. Il fit sa toilette, sans bruit. Il avait faim ; mais il craignit d’éveiller Louisa, en cherchant dans le buffet. Dans la cour, il entendit des pas ; il ouvrit doucement sa fenêtre, et vit Rosa, qui, la première levée, comme d’habitude, commençait à balayer. Il l’appela à mi-voix. Elle eut un mouvement de surprise joyeuse, en le voyant ; puis elle prit un air sévère. Il pensa qu’elle lui en voulait encore ; mais il était d’excellente humeur, en ce moment. Il descendit auprès d’elle.

— Rosa, Rosa, dit-il d’une voix joyeuse, donne-moi à manger, ou je te mange ! je meurs de faim !

Rosa sourit, et l’emmena dans la cuisine du rez-de-chaussée. En lui versant une jatte de lait, elle ne pouvait s’empêcher de lui poser une kyrielle de questions sur son voyage et sur ses concerts. Mais bien qu’il fût disposé à y répondre, — (dans le bonheur d’être revenu, il était presque heureux de retrouver le bavardage de Rosa), — Rosa s’arrêtait brusquement, au milieu de ses interrogations, sa figure s’allongeait, elle détournait les yeux, elle était soucieuse. Puis le bavardage reprenait ; mais il semblait qu’elle se le reprochât,

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