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À la maison, il trouva des visages irrités. Tous étaient scandalisés qu’il eût passé la nuit, Dieu savait où, avec Sabine. Il s’enferma dans sa chambre, et se mit à travailler. Sabine revint le lendemain, et s’enferma de son côté. Ils prirent garde de ne pas se rencontrer. Le temps était d’ailleurs pluvieux et froid : ni l’un ni l’autre ne sortait. Ils se voyaient derrière leurs vitres closes. Sabine était enveloppée, au coin du feu, et songeait. Christophe était enfoui dans ses papiers. Ils se saluaient d’une fenêtre à l’autre, avec une réserve un peu froide, et feignaient de s’absorber de nouveau. Ils ne se rendaient pas compte exactement de ce qu’ils sentaient : ils s’en voulaient l’un à l’autre, ils s’en voulaient à eux-mêmes, ils en voulaient aux choses. La nuit de la ferme était écartée de leur pensée : ils en rougissaient, et ils ne savaient pas s’ils rougissaient davantage de leur folie, ou de n’y avoir pas cédé. Il leur était pénible de se voir ; car cette vue leur rappelait des souvenirs qu’ils voulaient fuir ; et, d’un commun accord, ils se retirèrent l’un et l’autre au fond de leurs chambres, pour s’oublier tout à fait. Mais cela n’était pas possible, et ils souffraient de cette hostilité secrète qu’ils sentaient entre eux. Christophe était poursuivi par l’expression de sourde rancune, qu’il avait pu lire une fois sur le visage glacé de Sabine. Elle ne souffrait pas moins de ces pensées ; elle avait beau les combattre, les nier

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