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Jean-Christophe

Christophe eut le cœur serré. Il se pencha vers elle. Elle rouvrit les yeux, elle vit les yeux inquiets de Christophe qui l’interrogeaient, et elle leur sourit. Ce fut pour lui comme un rayon de soleil. Il demanda à mi-voix :

— Vous êtes malade ?

Elle fit signe que non, et dit :

— J’ai froid.

Les deux hommes étendirent sur elle leurs manteaux ; ils enveloppèrent ses pieds, ses jambes et ses genoux, comme un enfant qu’on borde dans son lit. Elle se laissait faire, et les remerciait du regard. Une pluie fine et glacée commençait à tomber. Ils reprirent les rames, et se hâtèrent de revenir. De lourdes nuées éteignaient le ciel. La rivière roulait des flots d’encre. Des lumières s’allumaient aux fenêtres des maisons, de ci de là, dans les champs. Quand ils arrivèrent au moulin, la pluie tombait à flots, et Sabine était transie.

On alluma un grand feu dans la cuisine, et on attendit que l’averse fût passée. Mais elle ne fit que redoubler, et le vent se mit de la partie. Ils avaient trois lieues à faire en voiture, pour revenir à la ville. Le meunier déclara qu’il ne laisserait pas partir Sabine par un temps pareil ; et il leur proposa à tous deux de passer la nuit à la ferme. Christophe hésitait à accepter ; il chercha conseil dans les yeux de Sabine ; mais les yeux de Sabine fixaient obstinément les flammes du foyer : on eût dit qu’ils craignaient d’influer sur la décision de Christophe. Mais quand Christophe eut dit oui, elle tourna vers lui sa figure rougissante — (était-ce du reflet du feu ?) — et il vit qu’elle était contente.

Chère soirée… La pluie faisait rage au dehors. Le feu lançait dans la noire cheminée des essaims d’étincelles

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