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Jean-Christophe

temps était frais et sec. Le clair soleil faisait reluire les rouges grappes des sorbiers sur la route, et des cerisiers dans les champs. Sabine souriait. Sa figure pâlotte était rosée par l’air vif. Christophe tenait sur ses genoux la petite fille. Ils ne cherchaient pas à se parler, ils parlaient à leurs voisins, peu importait à qui, et de quoi : ils étaient contents d’entendre la voix l’un de l’autre, ils étaient contents d’être emportés dans la même voiture. Ils échangeaient des regards de joie enfantine, en se montrant une maison, un arbre, un passant. Sabine aimait la campagne ; mais elle n’y allait presque jamais : son incurable paresse lui interdisait toute promenade ; il y avait près d’un an qu’elle n’était pas sortie de la ville : aussi jouissait-elle des moindres choses qu’elle voyait. Elles n’étaient point nouvelles pour Christophe ; mais il aimait Sabine ; et comme tous ceux qui aiment, il voyait tout au travers d’elle, il sentait chacun de ses tressaillements de plaisir, il exaltait encore les émotions qu’elle éprouvait ; car en se confondant avec l’aimée, il lui prêtait son être.

Arrivés au moulin, ils trouvèrent dans la cour tous les gens de la ferme et les autres invités, qui les reçurent avec un vacarme assourdissant. Les poules, les canards et les chiens faisaient chorus. Le meunier Bertold, un gaillard au poil blond, carré de la tête et des épaules, aussi gros et grand que Sabine était frêle, enleva sa petite sœur dans ses bras, et la posa délicatement à terre, comme s’il avait peur de la casser. Christophe ne tarda pas à s’apercevoir que la petite sœur faisait, selon l’habitude, ce qu’elle voulait du colosse, et que tout en se moquant lourdement de ses caprices, de sa paresse, et de ses mille et un défauts, il

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