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Jean-Christophe

trompait fort, si on croyait lui faire tort ainsi : on ne faisait que la rendre plus sympathique et faire ressortir sa bonté.

Amalia sentait qu’elle était allée trop loin ; mais elle était blessée de la leçon ; et, portant la dispute sur un autre terrain, elle disait qu’il était trop facile de parler de bonté : avec ce mot, on excusait tout. Parbleu ! Il était bien commode de passer pour bon, en ne s’occupant jamais de rien, ni de personne, en ne faisant pas son devoir !

À quoi Christophe ripostait que le premier devoir était de rendre la vie aimable aux autres, mais qu’il y avait des gens, pour qui le devoir était uniquement ce qui est laid, ce qui est maussade, ce qui ennuie, ce qui gêne la liberté des autres, ce qui vexe, ce qui blesse le voisin, les domestiques, sa famille, et soi-même. Dieu nous garde de ces gens et de ce devoir, comme de la peste !…

La dispute s’envenimait. Amalia devenait fort aigre. Christophe ne lui cédait en rien. — Et le résultat le plus clair, c’était que, désormais, Christophe affectait de se montrer constamment avec Sabine. Il allait frapper à sa porte. Il causait joyeusement et riait avec elle. Il choisissait pour cela les moments où Amalia et Rosa pouvaient le voir. Amalia se vengeait par des paroles rageuses. Mais l’innocente Rosa avait le cœur déchiré par ce raffinement de cruauté ; elle sentait qu’il les détestait, qu’il voulait se venger ; et elle pleurait amèrement.


Ainsi, Christophe qui avait tant de fois souffert de l’injustice, apprit à faire souffrir injustement.