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Jean-Christophe

bruit de sa voix aiguë, dans le silence de la nuit, produisit sur Christophe l’effet d’une fausse note. Il tressaillit sur sa chaise, et grimaça de colère. Rosa lui agitait triomphalement sa tapisserie sous le nez. Christophe la repoussa avec impatience.

— Elle est finie, finie ! insistait Rosa.

— Eh bien, allez en commencer une autre ! dit sèchement Christophe.

Rosa fut consternée. Toute sa joie était tombée.

Christophe continua méchamment :

— Et quand vous en aurez fait trente, quand vous serez bien vieille, vous pourrez au moins vous dire que vous n’avez pas perdu votre vie !

Rosa avait envie de pleurer :

— Mon Dieu ! comme vous êtes méchant, Christophe ! dit-elle.

Christophe eut honte, et lui dit quelques mots d’amitié. Elle se contentait de si peu, qu’elle retrouva aussitôt sa confiance ; et elle repartit de plus belle dans son bruyant bavardage ; elle ne pouvait parler bas, elle criait à tue-tête, suivant l’habitude de la maison. Malgré tous ses efforts, Christophe ne put cacher sa mauvaise humeur. Il répondit d’abord quelques monosyllabes irrités ; puis il ne répondit rien, il tourna le dos, et s’agitait sur sa chaise, en grinçant des dents, à ses notes de crécelle. Rosa voyait qu’elle l’impatientait, elle savait qu’elle devait se taire ; mais elle n’en continuait que plus fort. Sabine, silencieuse, dans l’ombre, à quelques pas, assistait à la scène avec une impassibilité ironique. Puis, lassée, et sentant que la soirée était perdue, elle se leva et rentra. Christophe ne s’aperçut de son départ que quand elle n’était plus là. Il se leva aussitôt

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