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l’adolescent

Il enjamba la clôture, et vint près d’elle.

Elle était assise sur une chaise, à l’entrée de sa maison. Il s’assit sur une marche, à ses pieds. Dans les plis de sa robe ramassés sur son ventre, il puisait des poignées de gousses vertes ; et il versait les petites balles rondes dans l’écuelle posée entre les genoux de Sabine. Il regardait à terre. Il voyait les bas noirs de Sabine, qui moulaient ses chevilles et ses pieds, dont l’un sortait à demi de l’un de ses souliers. Il n’osait lever les yeux vers elle.

L’air était lourd. Le ciel était très blanc, très bas, sans un souffle. Aucune feuille ne bougeait. Le jardin était clos de grands murs : le monde finissait là.

L’enfant était sortie avec une voisine. Ils étaient seuls. Ils ne se disaient rien. Ils ne pouvaient plus rien dire. Sans voir, il prenait sur les genoux de Sabine d’autres poignées de petits pois ; ses doigts tremblaient en la touchant : ils rencontrèrent, au milieu des gousses fraîches et lisses, les doigts de Sabine qui tremblaient. Ils ne purent plus continuer. Ils restèrent immobiles, ne se regardant pas : elle, renversée sur sa chaise, la bouche entr’ouverte, les bras pendants ; lui, assis à ses pieds, adossé contre elle ; il sentait le long de son épaule et de son bras la tiédeur de la jambe de Sabine. Ils étaient haletants. Christophe appuyait ses mains contre la pierre, pour les rafraîchir : une de ses mains frôla le pied de Sabine, sorti de son soulier, et resta posée sur lui, ne put se détacher. Un frisson les parcourut. Ils étaient près du vertige. La main de Christophe serrait les doigts menus du petit pied de Sabine. Sabine, moite et glacée, se penchait vers Christophe…

Des voix connues les arrachèrent à cette ivresse. Ils

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