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l’adolescent

— Et que c’est inutile de parler ! dit-elle.

— Oui, dit Christophe, on se comprend si bien !

Ils retombèrent dans leur silence. La nuit les empêchait de se voir. Ils souriaient tous deux.

Pourtant, s’ils sentaient de même, quand ils étaient ensemble, — ou s’ils se l’imaginaient, — ils ne savaient en réalité rien l’un de l’autre. Sabine ne s’en inquiétait aucunement. Christophe était plus curieux. Un soir, il lui demanda :

— Aimez-vous la musique ?

— Non, dit-elle simplement. Elle m’ennuie. Je n’y comprends rien du tout.

Cette franchise le charma. Il était excédé par les mensonges des gens qui se disaient fous de musique et qui mouraient d’ennui, quand ils en entendaient : ce lui semblait presque une vertu de ne pas l’aimer et de le dire. Il s’informa si Sabine lisait.

— Non. D’abord, elle n’avait pas de livres.

Il lui offrit les siens.

— Des livres sérieux ? demanda-t-elle, inquiète.

— Pas de livres sérieux, si elle ne voulait pas. Des poésies.

— Mais ce sont des livres sérieux !

— Des romans, alors.

Elle fit la moue.

— Cela ne l’intéressait pas ?

— Si, cela l’intéressait ; mais c’était toujours trop long ; jamais elle n’avait la patience d’aller jusqu’au bout. Elle oubliait le commencement, elle sautait des chapitres, et elle ne comprenait plus rien. Alors elle jetait le livre.

— Belle preuve d’intérêt !


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