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Jean-Christophe

mi-voix sur les effluves grisants apportés par le vent tiède, qui venait de passer sur une charrette de fraises. Sabine répondit deux ou trois mots. Ils se turent de nouveau. Ils savouraient le charme de ces silences indéfinis, de ces mots indifférents. Ils subissaient le même rêve, ils étaient pleins d’une seule pensée ; ils ne savaient point laquelle, ils ne se l’avouaient pas à eux-mêmes. Quand onze heures sonnèrent, ils se quittèrent en souriant.

Le jour d’après, ils ne tentèrent même plus de renouer conversation : ils reprirent leur cher silence. De loin en loin, quelques monosyllabes leur servaient à reconnaître qu’ils pensaient aux mêmes choses.

Sabine se mit à rire :

— Comme c’est mieux, dit-elle, de ne pas se forcer à parler ! On s’y croit obligé, et c’est si ennuyeux !

— Ah ! fit Christophe, d’un ton pénétré, si tout le monde était de votre avis !

Ils rirent tous deux. Ils pensaient à madame Vogel.

— La pauvre femme ! dit Sabine, comme elle est fatigante !

— Elle ne se fatigue jamais, reprit Christophe, d’un air navré.

Sabine s’égaya de son air et de son mot.

— Vous trouvez cela plaisant ? dit-il. Cela vous est bien aisé, à vous. Vous êtes à l’abri.

— Je crois bien, dit Sabine. Je m’enferme à clef chez moi.

Elle avait un petit rire doux, presque silencieux. Christophe l’écoutait, ravi, dans le calme de la nuit. Il aspira l’air frais, avec délices.

— Ah ! que c’est bon de se taire ! fit-il en s’étirant.

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