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Jean-Christophe

d’aliment à la douleur, quand l’excès des fatigues et des soucis précoces y eut ouvert une brèche par où elle pût entrer. De très bonne heure, s’étaient annoncés chez lui des désordres nerveux assez graves. Il avait, tout petit, des évanouissements, des convulsions, des vomissements, quand il éprouvait une contrariété. Vers sept ou huit ans, à l’époque de ses débuts au concert, son sommeil était inquiet : il parlait, criait, riait, pleurait, en dormant ; et cette disposition maladive se renouvelait, chaque fois qu’il avait des préoccupations vives. Puis ce furent de cruelles douleurs à la tête, tantôt comme des élancements dans la nuque et les côtés du crâne, tantôt comme un casque de plomb. Les yeux lui faisaient mal : c’étaient, par instants, des pointes d’aiguille qui s’enfonçaient dans l’orbite ; il avait des éblouissements et ne pouvait plus lire, il devait s’arrêter pendant quelques minutes. La nourriture insuffisante ou malsaine et l’irrégularité des repas ruinaient son robuste estomac. Il était rongé par des douleurs d’entrailles, ou une diarrhée qui l’épuisait. Mais rien ne le faisait plus souffrir, que son cœur : il était d’une irrégularité folle ; tantôt il bondissait tumultueusement dans la poitrine, à croire qu’il allait se briser ; tantôt il battait à peine et semblait près de s’arrêter. La nuit, la température de l’enfant avait des sautes effrayantes ; elle passait sans tran-

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