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le matin

Deux ou trois fois, il avait même totalement oublié de venir. Et de quoi n’était-il pas capable dans ces moments d’excitation stupide, où il était pris d’une démangeaison de dire et de faire des sottises ! Ne s’avisa-t-il pas, un soir, de vouloir exécuter son grand concerto de violon, au milieu d’un acte de la Valküre ! On eut toutes les peines du monde à l’en empêcher. Il arrivait aussi qu’il éclatât de rire, pendant la représentation, sous l’empire des images plaisantes qui se déroulaient sur la scène, ou dans son cerveau. Il faisait la joie de ses voisins, et on lui passait beaucoup de choses, à cause de son ridicule. Mais cette indulgence était pire que la sévérité même ; et Christophe en mourait de honte.

L’enfant était maintenant premier violon à l’orchestre. Il s’arrangeait de façon à veiller sur son père, à le suppléer au besoin, à lui imposer silence, quand Melchior était dans ses jours d’expansion. Ce n’était pas aisé, et le mieux était de ne pas faire attention à lui ; sans quoi l’ivrogne, dès qu’il se sentait regardé, faisait des grimaces, ou commençait un discours. Christophe détournait donc les yeux, tremblant de lui voir faire quelque excentricité ; il essayait de s’absorber dans sa tâche, mais il ne pouvait s’empêcher d’entendre les réflexions de Melchior et les rires de ses voisins.

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