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Jean-Christophe

priait au fond de lui, pour que, si grand-père ne devait pas guérir, grand-père fût déjà mort. Il avait l’épouvante de ce qui allait se passer.

Le vieux n’avait plus sa connaissance, depuis l’instant où il était tombé. Il ne la retrouva qu’un moment, juste assez pour prendre conscience de son état : — et ce fut lugubre. Le prêtre était là et récitait sur lui les dernières prières. On souleva le vieillard sur son oreiller ; il rouvrit lourdement ses yeux, qui ne semblaient plus obéir à sa volonté ; il respira bruyamment, regarda, sans comprendre, les figures, les lumières ; et soudain, il ouvrit la bouche ; un effroi indicible se peignait sur ses traits.

— Mais alors… — il bégayait, — mais alors, je vais mourir.

L’accent terrible de cette voix perça le cœur de Christophe ; jamais elle ne devait plus sortir de sa mémoire. Le vieux ne parlait plus, il gémissait comme un petit enfant. Puis l’engourdissement le reprit ; mais sa respiration devenait encore plus pénible ; il se plaignait, il remuait les mains, il semblait lutter contre le sommeil mortel. Dans sa demi-conscience, une fois, il appela :

— Maman !

Ô l’impression poignante de ce balbutiement du vieux homme, appelant sa mère avec angoisse, comme Christophe eût fait lui-même, — sa mère dont jamais