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le matin

Mais de tous les visiteurs, nul n’était plus antipathique à Christophe, que son oncle Théodore. C’était le beau-fils de grand-père, le fils d’un premier mariage de grand-mère Clara, la première femme de Jean-Michel. Il faisait partie d’une grande maison de commerce, qui avait des affaires avec l’Afrique et l’Extrême-Orient. Il réalisait bien le type d’un de ces Allemands nouveau style, qui affectent de répudier avec des railleries le vieil idéalisme de la race, et, grisés par la victoire, ont pour la force et le succès un culte qui montre qu’ils ne sont pas habitués à les voir de leur côté. Mais, comme il est difficile de transformer sur le champ la nature séculaire d’un peuple, l’idéalisme refoulé ressortait à tout moment dans le langage, les façons, les habitudes morales, les citations de Goethe à propos des moindres actes de la vie domestique ; et c’était un singulier mélange de conscience et d’intérêt, un effort bizarre pour accorder l’honnêteté de principes de l’ancienne bourgeoisie allemande avec le cynisme de ces nouveaux condottieri de magasin : mélange qui ne laissait pas d’avoir une odeur d’hypocrisie assez répugnante, — aboutissant à faire de la force, de la cupidité, et de l’intérêt allemands le symbole de tout droit, de toute justice, et de toute vérité.

La loyauté de Christophe en était profondément blessée. Il ne pouvait juger si son oncle avait raison ;

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