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Jean-Christophe

honte et de rage. Il lui fallait répondre, agir sur le champ. Il mourrait, s’il ne se vengeait.

Il se releva, et écrivit une lettre d’une violence imbécile :


« Madame,

« Je ne sais pas si, comme vous le dites, vous vous êtes trompée sur moi. Mais ce que je sais, c’est que je me suis trompé cruellement sur vous. J’avais cru que vous étiez mes amies. Vous le disiez, vous faisiez semblant de l’être, et je vous aimais plus que ma vie. Je vois maintenant que tout cela est un mensonge, et que votre affection pour moi n’était qu’une duperie : vous vous serviez de moi, je vous amusais, je vous distrayais, je vous faisais de la musique, — j’étais votre domestique. Votre domestique, je ne le suis pas ! Je ne suis celui de personne !

« Vous m’avez fait durement sentir que je n’avais pas le droit d’aimer votre fille. Rien au monde ne peut empêcher mon cœur d’aimer ce qu’il aime ; et si je ne suis pas de votre rang, je suis aussi noble que vous. C’est le cœur qui ennoblit l’homme : si je ne suis pas comte, j’ai peut-être plus d’honneur en moi que bien des comtes. Valet ou comte, du moment qu’il m’insulte, je le méprise. Je méprise comme la boue tout ce qui se prétend noble, s’il n’a pas la noblesse de l’âme.

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