Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 2.djvu/199

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
le matin

se résoudre à observer tout à fait la contrainte qu’il s’était imposée dans la première lettre. Il reprochait à Minna, sur un ton de plaisanterie, — car il n’y croyait pas lui-même, — de l’avoir oublié. Il la taquinait sur sa paresse, et lui faisait d’affectueuses agaceries. Il parlait de son travail avec beaucoup de mystère, pour piquer sa curiosité, et parce qu’il voulait lui en faire une surprise, au retour. Il décrivait minutieusement le chapeau qu’il avait acheté ; et il racontait que, pour obéir aux ordres de la petite despote, — car il avait pris à la lettre toutes ses prétentions, — il ne sortait plus de chez lui, et se disait malade, afin de refuser toutes les invitations. Il n’ajoutait pas qu’il était même en froid avec le grand-duc, parce que, dans l’excès de son zèle, il s’était dispensé de se rendre à une soirée du château, où il était convié. Toute la lettre était d’un joyeux abandon, et pleine de ces petits secrets, chers aux amoureux : il s’imaginait que Minna seule en avait la clef, et il se croyait fort habile, parce qu’il avait eu soin de remplacer partout le mot d’amour par celui d’amitié.

Après avoir écrit, il éprouva un soulagement momentané : d’abord, parce que la lettre lui avait donné l’illusion d’un entretien avec l’absente ; et surtout parce qu’il ne doutait pas que Minna n’y répondît aussitôt. Il fut donc très patient pendant

187