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Jean-Christophe

n’étaient que trop justifiées, et madame de Kerich avait une habileté cruelle à blesser au bon endroit. La largeur des souliers de Christophe, la laideur de ses habits, son chapeau mal brossé, sa prononciation provinciale, sa façon ridicule de saluer, la vulgarité de ses éclats de voix, rien n’était oublié de ce qui pouvait atteindre l’amour-propre de Minna : c’était une simple remarque, décochée en passant ; jamais cela ne prenait la forme d’un réquisitoire ; et quand Minna, irritée, se dressait sur ses ergots pour répliquer, madame de Kerich, innocemment, était déjà occupée d’un tout autre sujet. Mais le trait restait, et Minna était touchée.

Elle commença à voir Christophe d’un œil moins indulgent. Il le sentait vaguement et lui demandait, inquiet :

— Pourquoi me regardez-vous ainsi ?

Elle répondait :

— Pour rien.

Mais, l’instant d’après, quand il était joyeux, elle lui reprochait avec âpreté de rire trop bruyamment. Il était consterné, il n’eût jamais pensé qu’il fallût se surveiller avec elle, pour rire : toute sa joie était gâtée. — Ou bien, quand il causait, dans un entier abandon, elle l’interrompait d’un air distrait, pour faire une remarque désobligeante sur sa toilette, ou elle relevait ses expressions communes avec un

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