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Jean-Christophe

dans un livre, qu’il lisait à l’envers. Minna, pliée sur son ouvrage, s’enfonçait son aiguille dans le doigt.

Ils ne se trouvèrent plus seuls, de toute la soirée, et ils avaient peur de l’être. Madame de Kerich s’étant levée pour chercher quelque objet dans la chambre voisine, Minna, peu complaisante d’ordinaire, courut le prendre à sa place ; et Christophe profita de son absence pour partir, sans lui dire bonsoir.

Le lendemain, ils se retrouvèrent, impatients de reprendre l’entretien interrompu. Ils n’y réussirent point. Les circonstances leur furent cependant favorables. Ils allèrent en promenade avec madame de Kerich, et ils eurent dix occasions de causer à leur aise. Mais Christophe ne pouvait parler ; et il en était si malheureux, qu’il se tenait sur la route le plus loin possible de Minna. Celle-ci faisait semblant de ne pas remarquer son impolitesse ; mais elle en fut piquée, et elle le montra bien. Quand Christophe se força enfin à articuler quelques mots, elle l’écouta d’un air glacé : ce fut à peine s’il eut le courage d’aller jusqu’au bout de sa phrase. La promenade s’achevait. Le temps passait. Et il se désolait de n’avoir pas su l’employer.

Une semaine s’écoula. Ils crurent s’être trompés sur leurs sentiments réciproques. Ils n’étaient pas

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