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Jean-Christophe

exquise ; elle faisait à Christophe des sourires et des yeux langoureux, qui lui déplaisaient, qui l’irritaient, qui le remuaient jusqu’au fond de l’âme. À présent, c’était elle qui cherchait à causer ; mais ses conversations n’avaient rien d’enfantin : elle parlait gravement, et citait les poètes d’un petit ton pédant et prétentieux. Lui, ne répondait guère ; il était mal à l’aise : cette nouvelle Minna, qu’il ne connaissait pas, l’étonnait et l’inquiétait.

Elle l’observait toujours. Elle attendait… Quoi ?… Le savait-elle bien elle-même ?… Elle attendait qu’il recommençât. — Il s’en fût bien gardé, convaincu qu’il avait agi comme un rustre ; il semblait même n’y plus penser du tout. Elle s’énervait ; et, un jour qu’il était tranquillement assis, à distance respectable des dangereuses petites pattes, une impatience la prit : d’un mouvement si prompt, qu’elle n’eut pas le temps d’y réfléchir, elle lui colla elle-même sa menotte sur les lèvres. Il en fut ahuri, puis furieux et honteux. Il ne la baisa pas moins, et fort passionnément. Cette effronterie naïve l’indignait ; il était sur le point de planter là Minna.

Mais il ne pouvait plus. Il était pris. Un tumulte de pensées s’agitait en lui : il n’y reconnaissait rien. Comme des vapeurs qui montent d’une vallée, elles s’élevaient du fond de son cœur. Il

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