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le matin

les peines du monde à s’empêcher d’éclater. C’était une petite personne d’une fraîche figure, blanche, rose et ronde ; elle avait un petit nez un peu gros, une petite bouche un peu grosse, un petit menton grassouillet, de fins sourcils, des yeux clairs, et une profusion de cheveux blonds, qui, tressés en nattes, s’enroulaient en couronne autour de sa tête, découvrant la nuque ronde et le front lisse et blanc : — une petite figure de Granach.

Christophe fut pétrifié par cette apparition. Au lieu de se sauver, il resta, cloué sur place, la bouche grande ouverte. Ce ne fut que quand il vit la jeune dame faire quelques pas vers lui, avec son aimable sourire moqueur, qu’il s’arracha à son immobilité, et sauta, — dégringola — dans la ruelle, entraînant avec lui des plâtras du mur. Il entendait une voix bienveillante, qui l’appelait familièrement : « Petit ! », et un éclat de rire enfantin, clair, liquide comme une voix d’oiseau. Il se retrouva dans la ruelle, sur les genoux et les mains ; et après une seconde d’ahurissement, il détala à toutes jambes, comme s’il avait eu peur qu’on le poursuivît. Il était honteux ; et cette honte le reprenait par accès, chez lui, dans sa chambre, tout seul. Depuis, il n’osait plus passer par la ruelle, dans la crainte baroque qu’on ne fût embusqué pour le voir. Quand il était forcé de s’aventurer près de la maison, il rasait les

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