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Jean-Christophe

tu es tout pour moi. Tu ne peux pas… tu ne dois pas… Si je ne t’avais plus, je n’aurais plus qu’à mourir. Je ne sais pas ce que je ferais. Je me tuerais. Je te tuerais. Non. Pardon !…

Les larmes lui jaillissaient des yeux.

Otto, ému et effrayé par la sincérité d’une douleur, qui grondait de menaces, se hâta de jurer qu’il n’aimait et n’aimerait jamais personne autant que Christophe, que Franz lui était indifférent, et qu’il ne le verrait plus, si Christophe le voulait. Christophe buvait ses paroles, son cœur renaissait. Il riait et respirait très fort. Il remerciait Otto avec effusion. Il avait honte de la scène qu’il avait faite ; mais il était soulagé d’un grand poids. Ils se regardaient tous deux, plantés l’un en face de l’autre, immobiles et se tenant la main ; ils étaient très heureux et très embarrassés de leur personne. Ils revinrent silencieusement ; puis ils se remirent à parler, et ils retrouvèrent leur gaieté : ils se sentaient plus unis que jamais.

Mais ce ne fut pas la dernière scène de ce genre. Maintenant que Otto sentait son pouvoir sur Christophe, il était tenté d’en abuser ; il savait quel était le point sensible, et il avait une envie irrésistible d’y mettre le doigt. Non pas qu’il eût plaisir aux colères de Christophe : au contraire ; il n’en était pas rassuré. Mais il se prouvait sa force, en faisant

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