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LA NOUVELLE JOURNÉE

tera de moi que le plus vrai, que le seul vrai. Périsse Christophe !… »

Mais, peu de temps après, il sentit qu’il devenait aussi étranger à son œuvre qu’à lui-même. L’enfantine illusion de croire à la durée de son art ! Il avait la vision nette non seulement du peu qu’il avait fait, mais de la destruction qui guette toute la musique moderne. Plus vite que toute autre, la langue musicale se brûle ; au bout d’un siècle ou deux, elle n’est plus comprise que de quelques initiés. Pour qui existent encore Monteverdi et Lully ? Déjà, la mousse ronge les chênes de la forêt classique. Nos constructions sonores, où chantent nos passions, seront des temples vides, s’écrouleront dans l’oubli. … Et Christophe s’étonnait de contempler ces ruines, et de n’en avoir aucun trouble.

— Est-ce que j’aime moins la vie ? se demandait-il, étonné.

Mais il comprit aussitôt qu’il l’aimait beaucoup plus… Pleurer sur les ruines de l’art ? Elles n’en valent pas la peine. L’art est l’ombre de l’homme, jetée sur la nature. Qu’ils disparaissent ensemble, bus par le soleil ! Ils m’empêchent de le voir… L’immense trésor de la nature passe à travers nos doigts. L’intelligence humaine veut prendre l’eau qui coule, dans les mailles d’un