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LA FIN DU VOYAGE

portée de sa main, du papier à musique sur lequel il notait leurs propos et les siens, en riant des reparties. Habitude machinale ; les deux actes : penser et écrire, étaient devenus presque simultanés ; chez lui, écrire était penser en pleine clarté. Tout ce qui le distrayait de la compagnie de ses âmes, le fatiguait, l’irritait. Même, à certains moments, les amis qu’il aimait le mieux. Il faisait effort pour ne pas trop le leur montrer ; mais cette contrainte le mettait dans une lassitude extrême. Il était tout heureux de se retrouver ensuite : car il s’était perdu ; impossible d’entendre les voix intérieures, au milieu des bavardages humains. Divin silence !…

Il permit seulement que la concierge, ou l’un de ses enfants, vînt, deux ou trois fois par jour, voir ce dont il avait besoin. Il leur donnait aussi les billets, que, jusqu’au dernier jour, il continua d’échanger avec Emmanuel. Les deux amis étaient presque aussi malades l’un que l’autre ; ils ne se faisaient pas d’illusion. Par des chemins différents, le libre génie religieux de Christophe et le libre génie sans religion d’Emmanuel étaient parvenus à la même sérénité fraternelle. De leur écriture tremblante, qu’ils avaient de plus en plus de peine à lire, ils causaient, non de leur maladie, mais de ce qui avait toujours