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LA FIN DU VOYAGE

moi ! Chacune de tes rides m’est une musique du passé. » … Charmantes vieilles gens, qui après la longue veille de la vie, côte à côte, vont côte à côte s’endormir dans la paix de la nuit ! Leur vue était à la fois bienfaisante et douloureuse pour Christophe. Oh ! que la vie, que la mort eût été belle, ainsi !…

Quand il revit Grazia, il ne put s’empêcher de lui raconter sa visite. Il ne lui dit pas les pensées que cette visite avait éveillées. Mais elle les lisait en lui. Il était absorbé, en parlant. Il détournait les yeux ; et il se taisait, par moments. Elle le regardait, elle souriait, et le trouble de Christophe se communiquait à elle.

Ce soir-là, quand elle se retrouva seule dans sa chambre, elle resta à rêver. Elle se redisait le récit de Christophe ; mais l’image qu’elle voyait au travers n’était pas celle des vieux époux endormis sous le frêne : c’était le rêve timide et ardent de son ami. Et son cœur était plein d’amour pour lui. Couchée, la lumière éteinte, elle pensait :

— « Oui, c’est une chose absurde, absurde et criminelle, de perdre l’occasion d’un tel bonheur. Quelle joie au monde vaut celle de rendre heureux celui qu’on aime ?… Quoi ! Est-ce que je l’aime ?… »