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LA NOUVELLE JOURNÉE

courtisée, même par des sots ; elle était assez coquette, sauf avec Christophe, — même avec Christophe. Lorsqu’il était très tendre avec elle, elle était volontiers froide et réservée. Lorsqu’il était froid et réservé, elle se faisait tendre et elle lui adressait d’affectueuses agaceries. C’était la plus honnête des femmes. Mais dans la plus honnête et la meilleure, il y a, par moments, une fille. Elle tenait à ménager le monde, à se conformer aux conventions. Bien douée pour la musique, elle comprenait les œuvres de Christophe ; mais elle ne s’y intéressait pas beaucoup — (et il le savait bien). — Pour une vraie femme latine, l’art n’a de prix qu’autant qu’il se ramène à la vie, et la vie à l’amour… L’amour qui couve au fond du corps voluptueux, engourdi… Qu’a-t-elle à faire des méditations tragiques, des symphonies tourmentées, des passions intellectuelles du Nord ? Il lui faut une musique où ses désirs cachés s’épanouissent, avec un minimum d’efforts, un opéra qui soit la vie passionnée, sans la fatigue des passions, un art sentimental, sensuel et paresseux.

Elle était faible et changeante ; elle ne pouvait s’appliquer à une étude sérieuse que par intermittence ; il lui fallait se distraire ; rarement, elle faisait le lendemain ce qu’elle