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LA NOUVELLE JOURNÉE

temps, elle en avait le projet. Sa cousine Colette l’avait souvent invitée. La peur de l’effort à faire pour rompre ses habitudes, pour s’arracher à sa nonchalante paix et à son home qu’elle aimait, pour rentrer dans le tourbillon parisien qu’elle connaissait, lui avait fait remettre son voyage, d’année en année. Une mélancolie qui la prit, ce printemps, peut-être une déception secrète — (que de romans muets dans le cœur d’une femme, sans que les autres en sachent rien, et que souvent elle se l’avoue elle-même !) — lui inspirèrent le désir de s’éloigner de Rome. Les menaces d’une épidémie lui furent un prétexte pour hâter le départ des enfants. Elle suivit de peu de jours sa lettre à Christophe.

À peine la sut-il arrivée chez Colette, Christophe accourut la voir. Il la trouva encore absorbée et lointaine. Il en eut de la peine, mais il ne la lui montra pas. Il avait fait maintenant à peu près le sacrifice de son égoïsme ; et cela lui donnait la clairvoyance du cœur. Il comprit qu’elle avait un chagrin qu’elle voulait cacher ; et il s’interdit de chercher à le connaître. Il s’efforça seulement de la distraire, en lui contant gaiement ses mésaventures, en lui faisant part de ses travaux, de ses projets, en l’enveloppant