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LA FIN DU VOYAGE

inventant ce qu’il n’avait pas lu, mais toujours talonné par une curiosité vive et fraîche, qui cherchait partout des raisons d’enthousiasme. Il sautait d’un sujet à l’autre ; et sa figure s’animait, en parlant de spectacles ou d’œuvres qui l’avaient ému. Ses connaissances étaient sans aucun ordre. On ne savait pas comment il avait lu un livre de dixième rang, et ignorait tout des œuvres les plus célèbres.

— Tout cela est très gentil, dit Christophe. Mais tu n’arriveras à rien, si tu ne travailles pas.

— Oh ! je n’en ai pas besoin. Nous sommes riches.

— Diable ! c’est grave, alors. Tu veux être un homme qui n’est bon à rien, qui ne fait rien ?

— Au contraire, je voudrais tout faire. C’est stupide de s’enfermer, toute sa vie, dans un métier.

— C’est encore la seule façon qu’on ait trouvée de le faire bien.

— On dit ça !

— Comment ! « on dit ça » ? »… Moi, je dis ça. Voilà quarante ans que j’étudie mon métier. Je commence à peine à le savoir.

— Quarante ans, pour apprendre son métier ! Et quand peut-on le faire, alors ?

Christophe se mit à rire.