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LA FIN DU VOYAGE

qui nous dirigent. Laissez-moi vous conter une histoire.

« L’autre soir, j’étais entré dans un de ces cafés où l’on fait d’assez bonne musique, quoique d’étrange façon : avec cinq ou six instruments, complétés d’un piano, on joue toutes les symphonies, les messes, les oratorios. De même, on vend à Rome, chez certains marbriers, la chapelle Médicis, comme garniture de cheminée. Il paraît que cela est utile à l’art. Pour qu’il puisse circuler à travers les hommes, il faut bien qu’on en fasse de la monnaie de billon. Au reste, à ces concerts, on ne vous trompe pas sur le compte. Les programmes sont copieux, les exécutants consciencieux. J’ai trouvé là un violoncelliste, avec qui je me suis lié ; ses yeux me rappelaient étrangement ceux de mon père. Il m’a fait le récit de sa vie. Petit-fils de paysan, fils d’un petit fonctionnaire, employé de mairie, dans un village du Nord. On voulut faire de lui un monsieur, un avocat ; on le mit au collège de la ville voisine. Le petit, robuste et rustaud, mal fait pour ce travail appliqué de petit notaire, ne pouvait tenir en cage ; il sautait par-dessus les murs, vaguait à travers les champs, faisait la cour aux filles, dépensait sa grosse force dans des rixes ; le reste du temps,