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l’aube

lui donna des coups de pied. Il essaya de nouveau, ils se jetèrent sur lui tous deux, s’asseyant sur son dos, lui appuyant la figure contre terre. Alors une rage le prit : c’était trop de malheurs ! Ses mains qui le brûlaient, son bel habit déchiré, — une catastrophe pour lui ! — la honte, le chagrin, la révolte contre l’injustice, tant de misères à la fois se fondirent en une fureur folle. Il s’arc-bouta sur ses genoux et ses mains, se secoua comme un chien, fit rouler ses persécuteurs ; et, comme ils revenaient à la charge, il fonça tête baissée sur eux, gifla la petite fille, et jeta d’un coup de poing le garçon au milieu d’une plate-bande.

Ce furent des hurlements. Les enfants se sauvèrent à la maison, avec des cris aigus. On entendit les portes battre, et des exclamations de colère. La dame accourut, aussi vite que la traîne de sa robe pouvait le lui permettre. Christophe la voyait venir, et il ne cherchait pas à fuir ; il était terrifié de ce qu’il avait fait : c’était une chose inouïe, un crime ; mais il ne regrettait rien. Il attendait. Il était perdu. Tant mieux ! Il était réduit au désespoir.

La dame fondit sur lui. Il se sentit frapper. Il entendit qu’elle lui parlait d’une voix furieuse, avec un flot de paroles ; mais il ne distinguait rien. Ses deux petits ennemis étaient revenus pour assister à sa honte, et piaillaient à tue-tête. Des domestiques

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